Thursday 16 February 2012

Animal Farm

On ne devrait jamais juger un livre par sa couverture ! J’avais toujours pensé que le milieu hospitalier en France offrait des soins supérieurs à ceux d’Irlande du Nord de par la qualité de l’hébergement :  chambre individuelle avec salle de bain, toilettes, télé…le confort individuel pour plus de repos. 
Ici, c’est la chambrée mixte ouverte sur couloir, six lits, six chaises, six tables de nuit pour ranger ses effets personnels, six tables-plateaux.  Le seul élément de discrétion offert est un rideau bleu NHS entre les lits que les docteurs et infirmiers tirent à chaque consultation ou en cas de tragédie, lors des derniers souffles d’un patient, offrant un bien mince rempart pour la famille en guise d’intimité.
Les patients vont et viennent certes, mais au fil des jours, la compassion et sympathie que l’on est amener à ressentir pour ses voisins de lit ainsi que leur famille, se transforme vite en amitié ou à l’inverse en allergie.  Cette chambrée claustrophobe agit telle une cocotte minute :  sous la pression de la vapeur, nous voila fusionnés, telle une équipe de sport convergeant vers la même victoire, la notre, sortir enfin de l’hôpital !
Ce petit groupe assemblé au hasard est toujours marqué de personnages très distinctifs  et c’est une comédie des mœurs qui se joue devant nous. Sur scène :  le patient qui a tous les maux du monde et raconte en détails les épisodes par lesquels il a eu le malheur de passer.  Il renchérit comme lors d’une partie de poker dès que quelqu’un annonce un nouveau symptôme.  Il a tout eu, tout souffert.   Il y a la femme de la grande bourgeoisie coincée dans sa robe de dignité froissée.   Elle n’est pas du même monde et aurait de loin préféré la tranquillité d’une chambre individuelle.  Elle n’ose pas se changer en vêtements plus confortables et somnole raide et droite dans sa chaise, évitant de croiser le regard de qui que ce soit, comme si elle avait peur d’attraper la maladie des autres.   La sexagénaire, un fichu coloré sur la tête, sortie tout droit de sa campagne a l’air plutôt excitée par  la nouveauté de cet  environnement.  Elle cherche à faire la conversation à tout prix, heureuse d’avoir enfin un auditoire, et elle ne s’arrête plus, pas même pour reprendre sa respiration.  Chaque patient est interrogé sur sa généalogie et chaque détail est indexé et recoupé selon son système de gestion d’information.  Elle connait un cousin d’un cousin de la mère de l’un.  Elle habite le même bled perdu que le grand oncle d’un collègue de l’autre.  Elle a besoin de découvrir ces connections comme si sa vie en dépendait.  Il y a aussi le patient qui observe et participe aux échanges au minimum comme si il faisait parti d’un monde parallèle.
Ce manque d’intimité et de tranquillité est un salut pour moi ! Je n’ai ni le temps, ni l’espace pour laisser libre court à mes angoisses sur le futur.  Dans un service tel que celui de neurologie, on est face à tant de conditions différentes, toutes aussi plus terrifiantes les unes que les autres, que l’on en vient à se considérer  plus chanceux que bon nombre de patients.  Je crois très sincèrement que l’isolation que l’on institue dans les hôpitaux en France n’est ni bon pour le moral ni bon pour la guérison.  On semble vouloir protéger le patient du regard des autres, hors c’est de là que l’on tire une réelle image de sa propre condition.  Je tire énormément de force du fait que mes voisins de lit ne voient pas tout mon handicap et ne soupçonnent pas la douleur qui m’accapare en permanence.  Ils voient mon sourire et partage ma bonne humeur ce qui me fait oublier moi aussi pourquoi je suis là.  On existe alors en tant que personne dont on connait certains aspects, certains traits de caractère, et non pas en tant que Lit N  3- SEP/Epilepsie.
Telle une bande de copains, on s’inquiète les uns des autres, on prête son épaule à ceux qui ne peuvent plus contenir leurs larmes.  On se distrait en se racontant des tranches de vie.  On apprend à connaitre la famille des autres, surtout quand celle- là est très présente au chevet d’un malade qui est rarement dans un état conscient.  On se serre les coudes quand le roulement du personnel soignant nous apporte un personnage peu affable ou même carrément patibulaire. 
Pour les patients peu entourés, cette source d’amitié permet de ne pas affronter un diagnostique abrutissant seul.  On s’écoute les uns les autres, ce qui permet de réfléchir et de digérer les nouveaux bouts d’information donnés sur sa condition.
C’est une grande victoire sur l’indifférence et l’isolation qui ne coûte pas plus chère au système de santé et qui permet aux malades de se remettre bien plus vite  sur pieds car ils retrouvent l’envie d’aller mieux.

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