Tuesday 24 April 2012

L’ennemi invisible



 J’ai depuis toujours le sens et j’écoute la résonance des deux voix différentes qui animent mon esprit ;  l’une est source de confiance en moi, de force, de créativité, de passion et d’optimisme à toute épreuve ; l’autre tremble dans son coin de la peur de l’échec, de la honte, de la faiblesse, une voix qui se veut critique, conforme à la norme et qui m’abasourdit pour rester toute petite dans mon coin, limitée par la peur de ne jamais atteindre mon potentiel.  Ces deux voix s’engagent chaque jour dans d’incessants combats de rhétorique pour décider de qui aura le dessus.
Depuis le tout début de ma SEP, j’ai ressenti une troisième voix, une présence qui s’est installée et a pris ses aises en jouant des coudes.  Cette présence là habite tout mon corps, pas seulement mon esprit.  Ce monstre de l’ombre, c’est la fatigue caractéristique de la SEP, pas la fatigue de monsieur-tout-le-monde, la fatigue vécue au quotidien par chacun.  Cette fatigue ralentit chacun de mes gestes, elle alourdit mes jambes à chaque pas jusqu'à ce que je ne puisse plus les bouger.  Elle m’empêche de concentrer mon attention sur une conversation, une lecture, une activité quelconque de façon soutenue.  Elle crée des murailles au plus profond de moi qui font obstacles au ressenti, aux sentiments, aux émotions, jusqu'à ce que les personnes qui m’entourent ne comprennent plus les raisons de mon détachement et de ma froideur.
Pendant les premières années de ma maladie, j’ai su appliquer de façon intransigeante ma première règle de vie : « si tu veux, tu peux ! », l’esprit dompte le corps.  Je me suis battue pour vaincre cette fatigue et pousser mes limites coute que coute.  J’en paie maintenant le prix.
Au cours des 8 derniers mois, j’ai enfin pris conscience du fait que je ne peux pas vaincre cette fatigue en lui jetant le peu d’énergie dont je dispose au quotidien.  C’est en effet, le plus grand des gaspillages qui entraine une terrible frustration, qui elle-même me pompe encore plus de mon énergie. 
Comme pour l’eau si précieuse, Je dois donc apprendre à utiliser au mieux mon énergie, en utilisant des moyens et outils d’aide et colmater toutes brèches pour empêcher les fuites.
C’est avec ma neuropsychiatre et mon ergothérapeute que j’ai fait ce cheminement pour d’abord comprendre les mécanismes de la fatigue et ensuite mettre en place les stratégies nécessaires pour vivre au mieux mon quotidien.
Ma neuropsychiatre m’a énormément aidée à  comprendre et mettre en mots mon ressenti par rapport à ma fatigue au quotidien.  En gros, il faut s’imaginer avoir un potentiel d’énergie utilisée pour les besoins de base d’un fonctionnement normal :   
En gros, je ne peux pas continuer à utiliser toute mon énergie pour des dépenses physiques car il ne me reste plus de jus pour gérer mes émotions et utiliser ma matière grise.  Mon ergothérapeute m’a guidée pour élaborer une analyse de mes pics d’énergie au cours de la journée ainsi que de mes grandes baisses de régime.  Ensuite, nous avons pu réaménager mon emploi du temps.
Comme je suis moins harcelée par la fatigue tôt le matin, je passe une heure à faire de la kiné et du yoga, peu importe la douleur ou l’humeur.  Ma toilette me demande beaucoup de temps et d’énergie et une fois habillée, je m’allonge une demi-heure pour récupérer.  Cependant,  je dois toujours rester flexible car certains jours, il m’arrive d’être écrasée par la fatigue au réveil et de ne pas pouvoir me lever, me laver ou m’habiller.
 Le reste de la matinée, je dois choisir entre mes activités : soit Je prépare le diner, je fais quelques tâches ménagères légères, ou je consacre mon reste d’énergie pour faire une brève sortie ou une activite telle qu'écrire ce blog.
Après déjeuner, je m’allonge pendant deux à trois heures pour lire et méditer. Je dors entre 20 et 40 minutes maximum.  J’ai besoin de ce temps pendant lequel je n’ai aucun stimulus pour retrouver des forces pour le reste de la journée.  L’habitude a été difficile à prendre car étant d’un tempérament hyperactif, ce temps de sieste m’a paru longtemps un gaspillage de temps, de la paresse et du laissez aller. 
Le plus pénible pour moi est de réconcilier mes envies d’activités avec mon potentiel d’énergie.
Souvent je commence une activité et tout d’un coup, la fatigue m’abrutit complètement, les maux de tête me donnent le «  casque », la paupière droite tombe et je ne peux plus parler, avancer, penser…etc. J’ai la chance d’avoir une femme et des amis extraordinaires qui comprennent ma maladie, ma fatigue et qui me viennent en aide régulièrement.  Ainsi, il m’arrive de sortir en chaise roulante le matin en pensant être en forme olympique, d’arriver jusqu'à la bibliothèque ou la boucherie du quartier et d’avoir à appeler  à la rescousse car je ne peux pas faire deux mètres de plus.
Les vraies stratégies pour gérer cette fatigue de la SEP se résument en peu de choses :

  • ·         Positiver : le manque d’énergie entraine une baisse de capacité à gérer l’humeur et les émotions. On voit vite les choses en noir alors il faut juste se rappeler que « demain est un nouveau jour avec un nouveau potentiel d’énergie »
    ·         Etre organisé et faire des listes pour aider la mémoire
    ·         Etablir les priorités de la journée
    ·         Dormir un moment dans l’après-midi pour se recharger
    ·         Ecrire un mini journal pour pouvoir reconnaitre que la journée n’a pas été vide malgré les impressions qu’on peut s’en faire.
    ·         Se faire aider à la maison
    ·         Utiliser les outils d’aide au handicap-par exemple,  j’utilise un charriot pour rassembler tous mes ingrédients avant de commencer à cuisiner  et pour chaque activité dans la cuisine, je suis assise sur une chaise haute.
    ·         Eviter le stress
    ·         Faire de l’exercice physique
    ·         Manger bien en petite quantité plus souvent et à des moments de pics d’énergie
    ·         Eviter la chaleur
 Ma vie n’est plus en dents de scie mais en « Cruise Control » et si je ne vis plus les grands hauts, j’espère au moins  ne plus connaitre les grands bas.
    Et je vous laisse avec une vidéo sur la fatigue et la sclérose en plaques accessible sur le site APF de la SEP

    Les symptômes "invisibles" de la sclérose en plaques par le Dr Bruno Stankoff