2016 est la bienvenue, c'est certain. Le silence
radio de 2015 a ses raisons. Ma SEP a déployé ses ailes en février
2015 et les décisions concernant mon traitement de fond m'ont été
retirées des mains.
Mon neurologue, aux vues de mon état, a émis
l'hypothèse inquiétante que les phases inflammatoires étaient une
chose du passé et que je venais de passer le cap de non retour vers
une descente dégénérative et progressive. Mon traitement de fond
par Tysabri n'avait donc plus lieu d’être administré. Cette
hypothèse, difficile à avaler, est cependant passée comme une
pilule alors que je recevais en simultané les résultats positifs de
mon virus JC. Après 3 ans de traitement et un virus JC positif, je
connaissais bien les risques terrifiants de la LEMP. Au début du
traitement, ces critères avaient été les limites que je m'étais
promise de m'imposer le moment venu. J'ai donc eu ma dernière cure
de Tysabri en février, disant aussi au revoir au suivi mensuel d'un
neurologue et du soutien de mes infirmières formidables. Dans les
premiers temps, je me suis sentie libérée de cet attachement
mensuel à l’hôpital.
J'ai été alors placée sous les soins d'une équipe
multidisciplinaire dirigée par le centre palliatif et antidouleur,
avec neurologue et psy a l'appui. Très vite, ce n'est plus la
maladie le point focal mais la douleur qui devient le centre
d’intérêt de mon équipe multidisciplinaire. Mon traitement
médicamenteux est ré-évalué, certains médicaments changés,
d'autres augmentés, certains introduits comme le Lyrica et le
Rivotril et les patchs de morphine conservés. Malgré ce nouveau
régime de pilules multiples et colorées, je reste dans un état de
douleur constant dans toutes ses subtilités sournoises connues de
toutes les personnes atteintes de la SEP, brûlures, décharges
électriques,spasmes musculaires, spasticité accrue, névralgie du
trijumeau, étau de l'abdomen et fatigue extrême.
Mais très rapidement, je tombe dans un état presque
comateux. Je m'endors en milieu de phrase, la cigarette à la main,
je ne peux plus suivre un film ou lire un livre. Je passe mon temps
en état second et mes capacités intellectuelles sont visiblement
affectées. Je me surprends régulièrement en pleine discussion
dont je ne comprends ni le début, ni la fin et je ne suis pas la
seule. Emma s’inquiète de cette incohérence qui s'installe dans
,mon discours ainsi que dans mon comportement déjà inquiétant.
Après 2 jours de délire total sans le moindre effort pour sortir de
mon lit, Emma décide de faire venir mon médecin traitant et tous
les deux parlent de mes symptômes. Très vite la panique s'installe.
Mes symptômes pourraient ils signaler une LEMP? Je suis
hospitalisée d'urgence en neurologie et toute une batterie de tests
est enclenchée, dont une ponction lombaire. Rapidement, il devient
clair que la source de mon état semi-comateux et incohérent est le
nouveau régime médicamenteux lourd imposé en février par l’équipe
pluridisciplinaire antidouleur. Je passe une semaine à l’hôpital
pour commencer mon sevrage de Lyrica et Rivotril et on réajuste le
reste. Heureusement, le pire scénario est écarté...pas de signe de
LEMP, je ne risque donc pas la mort dans les semaines à venir, ou
pire, un état végétatif permanent.
Petit à petit, je reprends du poils de la bête et
reprends mon train train quotidien yoga, soins, repos, kiné. La
douleur est là pour rester, j'apprends à la tolérer, à cohabiter.
Le soutien psychologique du centre antidouleur m'aide un peu à
accepter ma situation et mon impression de vide dans ma vie et le
sentiment d'absence de suivi thérapeutique. Mon médecin traitant
devient mon pilier, mon soutien constant, toujours a l’écoute.
Les mois défilent et les murs de ma vie se referment
sur moi de plus en plus. J'ai l'impression de faire figuration dans
la vie de mes proches mais de ne plus vraiment tenir le rôle
principal dans ma propre vie. La SEP m'a absorbée! Je perds
confiance en moi puisque je n'arrive plus à gérer les choses
importantes de notre vie: l'administratif, les rendez-vous à droite
à gauche, notre vie de couple, ma vie sociale, familiale, les taches
ménagères, les courses, la cuisine. Ma mémoire me fait défaut.
Je me rends compte que les pics de fatigue m’enlèvent toute
cohérence et rationalité. Je me referme sur moi-même. Emma,
désemparée me regarde sombrer dans une dépression latente.
Je ne veux pas lui communiquer mes peurs et elle
garde les siennes bien au chaud pour lui tenir mauvaise compagnie
pendant ses nuits d'insomnie. Je suis devenue Zadig, championne du
faire semblant pour les autres, du tout va bien dans le meilleur des
mondes car on ne me voit que lorsque j'ai la force de jouer ce
cinéma.
La réalité est bien différente. J'ai peur de mes
peurs, du présent et du futur. Je ne veux pas être admirable et
forte. Je veux avoir le loisir de m'accrocher à la vie, une
meilleure vie dans un corps qui ne m'emprisonne pas dans ses
tourments et faiblesses. La SEP me tire vers le bas et je commence à
lâcher du lest. Je perds de moi-même un peu plus chaque jour. J'ai
l'impression de disparaître peu à peu. La maladie est ma réalité
mais je n'arrive toujours pas à accepter que je n'irai pas mieux,
mais de mal en pire. Sans espoir! C'est un état d'esprit qui va à
l'encontre de l'essence même de la psyché humaine. On vit chaque
jour, on se bat chaque jour pour que le prochain soit meilleur, sinon
à quoi bon!
Je crève de faim pour une colère qui me remplirait
d’énergie, même négative, tout sauf ce sentiment de vide. La
balance est penchée par le désespoir, ma vie ne pèse plus bien
lourd. Mes plus beaux moments semblent derrière moi. J'ai peur
d'avoir vécu le meilleur de ma vie à 41 ans! J'ai peur d’entraîner
ma femme, celle qui me fait encore sourire chaque jour, vers une vie
triste et sans fin, à porter le lourd fardeau que je vais
devenir...que je suis déjà. Je ne peux tolérer l’idée qu'elle
soit coincée dans cette vie avec moi. Je préférerais lui briser
le cœur maintenant, plutôt que chaque jour pour la durée de ma vie
et de la sienne. Je ne suis même plus capable de confronter touts
mes états d’âme avec ma psy. J'annule mes rendez vous, je fuis,
je reste dans ma tête et dans ce corps qui m'emprisonne.
Pendant l’été, la canicule me fait terriblement
souffrir et je passe de nombreuses nuits, éveillée, consciente,
incapable de bouger même un doigt, la douleur, les brûlures étant
trop intenses. Ces épisodes durent des heures pendant lesquelles je
m’obsède à penser que peut-être un de ces matins, je serai
emprisonnée dans cette douleur intense, incapable de communiquer, de
bouger et ce pour toujours. Je ne peux même pas en parler. A la
place, je commence à fantasmer sur les meilleurs moyens d'en finir
avant de ne plus pouvoir décider de ma fin de vie ou de communiquer
mes souhaits et dernières volontés pour une fin de vie digne et
supportable.
Fin septembre, après de nombreuses visites de
repérage en forêt, aux limites de ma liberté, dans mon périmètre
d'autonomie en chaise roulante électrique, pour trouver le bon
arbre, la branche assez robuste pour m'y pendre, je finis par mettre
tous mes médicaments dans un sac et je pars m'installer dans un de
mes coins préférés, couverts de mousse épaisse, pour tous les
avaler et en finir une fois pour toutes.
Quel terrible acte égoïste! Dans ma détresse, je
n'ai jamais pris en compte le traumatisme infligé à Emma qui m'y
retrouve dans le comas et me sauve en appelant les services
d'urgences.
En ouvrant les yeux en service de réanimation, après
des jours sous intubation et dans le comas, je ressens un bonheur
enveloppant tout mon être. Je suis toujours bien là, pour
continuer à vivre l'aventure de la vie avec celle que j'aime et qui
me soutient de tout son amour. Nous nous sommes perdues toutes les
deux dans les méandres de nos propres peurs.
Après un mois en centre de convalescence à
réfléchir, à revisiter, à discuter avec les psy, à rouvrir le
dialogue avec Emma, à écrire pour comprendre mes pensées de jour
en jour, je me suis reconstruite, nous nous sommes reconstruites.
Le jour de ma sortie est le premier jour du
renouveau...un nouveau départ!
Alors en ce début 2016, ce n'est pas une meilleure
santé que je veux qu'on me souhaite mais la capacité de percevoir
chaque jour la beauté de la nature qui m'environne, la lumière qui
inonde le Causse, même en plein hiver, l’énergie de prendre le
temps de profiter de chaque balade possible avec Emma, de chaque
moment de joie partagée avec mes amis et proches, la détermination
pour ne pas baisser les bras, la force d’être moi-aussi un apport
de soutien, pour Emma, la patience et sagesse pour communiquer mieux
à deux notre vécu, la SEP présente dans nos vies à toutes les
deux et beaucoup de sérénité.
Alors pour commencer cette année avec un symbole qui
me rappellera cette renaissance que je veux marquée de créativité
et de curiosité ainsi que cette envie d’être forte pour nous, pas
seulement pour moi, je me suis faite tatouée l'avant-bras d'un
Mandale en forme de Lotus.
Bonne année à tous.