Friday 30 June 2017

Comment Ginger Rodgers est entrée dans notre vie sans musique ni pas de dance

Par un beau dimanche matin printanier, nous nous étions laissées tenter par un vide maison à quelques kilomètres de Labastide Murat.

Notre expérience nous a appris que les meilleures affaires sont à trouver dans ces vides maisons plus que dans les multiples brocantes dominicales populaires dans notre région et qui généralement annoncent le printemps.

Après avoir parcouru les allées de tables bien pourvues dans les différentes granges et bâtiments de ce corps de ferme en vente, me sentant fatiguée par les manoeuvres en chaise roulante autour d'obstacles multiples et variés, j'avais décidé d'aller prendre l'air à côté du poulailler.  Emma, quant à elle, continuait à farfouiller à travers le dédale de trésors poussiéreux, vieux outils, objets en céramique, vêtements d'une mode passée, linge de maison en lin épais et brodé des initiales d'une future mariée...etc.

N'ayant pas envie d'attirer l'attention de qui que ce soit, j'avais allumé une cigarette et portais un regard distrait autour de moi.  Malgré mon attitude peu invitante, la propriétaire des lieux s'approche soudainement de moi et m'interpelle:  "Vous vous intéressez aux poules?" me dit-elle.  Je lui confie que l'installation d'un poulailler dans mon jardin est un rêve d'enfance.

J'ai toujours aimé m'occuper d'animaux.  Quand j'étais enfant, mes parents m'avaient donné la responsabilité du bien-être de nos lapins, les nourrir, changer leur litière...et hors contrat, les câliner et leur apporter toute mon affection.  Cette expérience m'avait longtemps laissée traumatisée, ce qui ferait d'ailleurs de moi une végétarienne convaincue pendant toute ma vingtaine, ayant surpris un beau matin ma grand-mère "déshabillant" un de mes lapinoux derrière le tas de bois.  Cette vision de mon animal attaché par les pattes arrières, la tête pendante et les yeux sans vie avait déclenché une série de déclics dans ma tête, comme si toutes les pièces d'un puzzle s'étaient soudainement mises en place pour révéler la triste réalité, qui jusqu'ici m'avait toujours échappée:  chaque semaine, un de mes petits lapins adorés disparaissait, et comme par hasard, chaque dimanche midi, le lapin était au menu!

Sortant vite de mes pensées funestes, je réponds à la femme qui vient de m'interpeler que c'est une envie de toujours et que j'ai même un poulailler en kit dans ma cave en attente d'être monté.  Tout de suite, elle s'empresse de me dire de ne pas bouger, qu'elle a une surprise pour moi et s'éloigne sans se retourner.  Quelques instants plus tard, je la vois revenir à grands pas en tenant quelque chose dans ses deux mains.

Je commence à me douter que quelque chose va me tomber dessus sans que je puisse, ou trouve le courage de dire non.

La voilà devant moi, toute essoufflée, tenant une petite chose à plumes, couleur abricot dans ses mains: "J'ai essayé de m'en débarrasser toute la journée hier mais personne n'en a voulue et je ne me sens pas le coeur de lui tordre le cou.  Et puis, je vous ai vue et j'ai tout de suite pensé que comme vous étiez handicapée, vous comprendriez ses besoins, alors voilà, je vous la donne de bon coeur!"

Aussitôt dit, elle me place ce petit être dans les mains que je retire automatiquement de mes roues pour la prendre délicatement.  Là, je réalise le piège!  La dame s'éloigne à grands pas et n'ayant pas eu le temps de refuser sur le moment, je ne peux pas non plus la suivre pour lui rendre car mes mains sont occupées à soutenir la toute petite poule bien chaude au ton abricot.

Je me rappelle alors ses mots:"puisque vous êtes handicapée, vous comprendrez ses besoins".  Une fois de plus, le côté "Not Politically Correct" des français quant au handicap me fait sourire jaune.
Je décide d'ausculter ma nouvelle amie handicapée.  Son bec me paraît croisé, ce qui ne m'inquiète pas plus que ça.  Je la caresse, elle est douce et très calme et puis je découvre avec tristesse qu'une de ses pattes est raide et tordue dans un angle qui ne lui permettra pas de marcher.  Bon, voilà, je ne sais pas encore comment réagir car je ne sais pas comment on s'occupe de poules mais je sais une chose, il va falloir que j'annonce cette bonne nouvelle à Emma!

Mes mains étant prises pour tenir ma petite poule handicapée en sécurité, je ne peux plus me déplacer pour chercher Emma.  Je jette un oeil autour de moi et puis rencontre son regard qui m'interroge pour savoir dans quel pétrin j'ai réussi à me mettre en l'espace de moins d'une demi-heure seule, parce qu'une fois de plus je n'ai pas su dire NON.

Résultat de cette petite sortie:  une vieille radio des années cinquante, une table de machine à coudre Singer, un panier et une petite poule naine handicapée et deux autres qu'il a fallu acheter pour lui tenir compagnie!

Je me suis très vite attachée à notre petite Ginger Rodgers, passant beaucoup de temps à la descendre du poulailler le matin, la transportant vers sa nourriture, la mettant à l'ombre quand il faisait trop chaud, la remontant dans le poulailler le soir pour dormir.  Les deux autres poules naines aussi m'ont touché le coeur, Izzy Pop et Coco Chanel, ayant deux personnalités très distinctes et amusantes.  Malheureusement, un matin, six mois après qu'elle soit rentrée dans notre vie de force, j'ai retrouvé Ginger sans vie.  Elle est enterrée dans notre jardin sous les vignes où elle cherchait le frais en se déplaçant difficilement en s'appuyant d'une aile pour combler son handicap.

Notre première tentative à garder des poules pour le plaisir d'avoir des oeufs frais n'a pas été des plus fructueuses.  En effet, après la triste disparition de Ginger et 9 mois après les avoir ramenés à la maison, Izzy Pop et Coco Chanel se sont transformés en deux jolis petits coqs, Izzy un nègre-soie et Coco d'une autre race naine avec un style capillaire des plus amusants.  Et toujours 0 oeuf!

Certes, ma nouvelle passion pour l'observation du comportement des poules, ou plus exactement celui de deux coqs ensemble, m'apporte beaucoup de joie mais nous avons quand même décidé qu'il serait préférable d'acheter des poules en âge de pondre pour notre bénéfice et pour l'équilibre de nos deux jeunes coqs.  Voici chose faite.  Depuis quelques mois, nous avons 4 magnifiques poules qui nous donnent 3 oeufs chaque jour.  Nous avons trouvé une nouvelle famille pour Izzy Pop, dont le nom fut changé de suite et il vit maintenant à quelques kilomètres avec 5 poules pour lui tout seul.  L'ordre est rentré dans notre basse-cour et je passe toujours beaucoup de temps à m'occuper de mon petit monde à plumes, leur préparer à manger, nettoyer leur poulailler, nichoirs...etc.  Certaines sont très amusantes et me suivent dans le jardin pour manger tout ce qui bouge quand je remue la terre.  De vrais petits chiens! J'en suis comblée et j'ai toujours ce même sentiment de magie lorsque j'ouvre le toit de leur nichoir et découvre des oeufs de taille et couleur différentes, certains encore tout chauds.

Il est vrai que la manière dont nos poules sont entrées dans notre vie de néo-ruraux reste assez cocasse mais elles m'apportent beaucoup de joie et rendent la journée de nos 4 chats beaucoup plus animée et pleine de curiosité.  Et personne n'y laisse de plumes!