Saturday 30 August 2014

Le handicap, c'est pas du gâteau

Il me semble que je n'ai pas fait ma vidange thérapeutique sur ce blog depuis des mois. Ce n'est pourtant pas par manque de temps ou de sujets à traiter.

Les facteurs fatigabilité et douleur constante de la SEP me grignotent mon énergie et optimisme, la morphine fait le reste. De plus en plus, j'ai du mal à trouver assez d'humour au fond de moi pour prendre à la légère les situations terriblement pénibles à vivre au jour le jour ainsi que les paroles blessantes et manquant complètement de compassion et de réflexion de la part des docteurs, des fonctionnaires des affaires sociales, de connaissances et d'amis proches ainsi que de ma famille.

Il faut cependant essayer d'en rire, sinon j'en pleurerais de colère ou de désespoir. Je vous en fais ici le top 10 en commençant par les plus légères et en finissant par l'apothéose.


10 : j'ai toujours l'impression en France que les personnes avec des handicaps visibles sont rangés, cachés pour ne pas gêner ou attrister les « valides », « les gens normaux » car lorsque je suis en chaise roulante pour mes activités quotidiennes, les gens ont un regard fixe, intense et qui a tendance à me dévisager de haut en bas et de bas en haut. Je me rappelle que dans mon enfance, mes parents nous avaient inculqué de ne pas regarder les « handicapés » en tous genres pour ne pas les gêner. Vraisemblablement, ceci a disparu des mœurs car les adultes autant que les enfants portent un regard blessant.

9: Je ne veux pas non plus être invisible. Quand nous rencontrons des gens, une grande majorité regarde et parle à Emma, comme si je n'étais pas là devant eux et pouvant participer à la discussion. Ma chaise roulante ne me rend pas incapable de réfléchir, de discuter et de ressentir ce manque de politesse incroyablement fréquent. Ma chaise roulante électrique devrait rétablir la parité avec sa fonction élévatrice : « Coucou, je suis là !
8: Pour beaucoup de gens, je suis devenue la nana en chaise roulante. Je n'existe pas physiquement sans elle. On ne me reconnaît pas par mon visage, ou ma coupe de cheveux, mon sourire, mon rire, ma voix...etc. Récemment, je faisait les présentations entre un groupe d'amis et deux connaissances qui m'ont souvent rencontrée et qui auraient dû logiquement me reconnaître. Le monsieur à qui je présentais nos amis me regardais bizarrement et au bout d'un instant, il me fixe et me demande qui je suis. Je lui dis mon nom, toujours le brouillard, alors je lui dis « je suis la femme d'Emma ». Et le monsieur s'exclame tout à coup: «oh Muriel, je ne t'avais pas reconnue sans ta chaise roulante ». Le tout suivi d'un coup de pied peu discret mais désespéré de sa femme sous la table, mais voilà, c'était déjà sorti de sa bouche ! Quelle horreur si symbolique d'une certaine façon de penser!
7: Je dis souvent que lorsque je sors de la maison, il me faut raccrocher ma dignité au porte-manteau. En effet, lorsqu'on est une personne à mobilité réduite vivant et circulant dans un espace complètement inaccessible, il est fort courant de se trouver dans des situations dans lesquelles il est nécessaire de se résigner à être manipulée comme un sac à patates pour rentrer dans les magasins, les cabinets de médecins, dentistes, au cinéma, dans les avions...avec peu de délicatesse et souvent des commentaires du genre eh bien, vous, on peut pas dire que vous êtes légère! J'aimerais tant leur rétorquer que eux nous plus ne sont pas légers dans leur connerie!Malheureusement, cela serait pris comme un manque d'humour généralisé pour tous les handicapés.

6: A la maison, je me déplace principalement avec mes cannes ou mon déambulateur et à l'extérieur en chaise roulante quand cela m'est possible. Habitant un petit village des Causses de Quercy, je suis obligée de descendre dans mon jardin avec mon déambulateur en affrontant les descentes et les montées avec beaucoup de peine et de difficulté et une fois arrivée, je jardine à genoux. Mon périmètre de marche est très limité et ne pouvant plus conduire, je suis prisonnière dans ma résidence et attends désespérément que le Père Noël m’amène une chaise roulante électrique pour retrouver de l'autonomie. Nombreux sont ceux qui autour de moi et derrière mon dos racontent que, puisque je peux faire quelques mètres sans chaise roulante, je ne subis pas vraiment un handicap lourd. Je fais semblant pour toucher l'AAH et que les personnes comme moi sont de vrais parasites pompant le système. Ce genre de commentaires me blesse particulièrement car je vendrais bien mon âme au diable pour ne plus souffrir physiquement et intérieurement et pouvoir me rappeler comment était ma vie d'avant, sans la douleur constante et mon énergie entièrement dépensée par l'effort fait pour garder le moral et profiter de la vie au maximum malgré mes lourdes limitations.


5: Je discute souvent de mon ressenti avec une amie qui elle aussi a la SEP et souffre encore plus que moi de sa mobilité réduite, de sa douleur et de sa dépendance totale de ses aidants. Toutes les deux nous rions de la stupidité et du manque de réflexion des gens autour de nous, qui voyant une personne en chaise roulante, se mettent à parler très fort et en énonçant leurs mots très lentement comme si le handicap physique était forcément équivalent à une limitation intellectuelle.


NOS JAMBES ET NOS MAINS NE FONCTIONNENT PAS BIEN, MAIS NOUS NE SOMMES NI SOURDES, NI SIMPLES D'ESPRIT !

Dans cette même catégorie, je dois classer ceux qui sont tellement mal à l'aise devant le handicap ou ceux qui ne peuvent pas laisser passer l'occasion de montrer leur bonté d’âme et de générosité, qu'ils sont capables de pousser ma femme de côté pour se mettre aux commandes de ma chaise roulante sans avertissement ou consultation. Je ne suis pas un bébé dans une poussette, merde ! Je peux décider moi même comment et où je veux aller et si j'ai besoin d'aide, je saurai demander de l'assistance à la personne de mon choix. Je peux compter par dizaine le nombre de fois où on m'a plus ou moins kidnappée dans des soirées pour devenir l'accessoire préféré de personnes ayant trop bu ou de personnes persuadées que leur compagnie m'est indispensable. Une amie polonaise pensant bien faire m'a monopolisée toute une soirée en me poussant partout où elle allait : le bar, les toilettes, dehors à chacune de ses envies de cigarettes...etc. Ma docilité m'a conduite ce soir là à être tirée et poussée en ronde perpétuelle à grande vitesse dans le hall d'entrée d'un grand hôtel.

Ce grand moment de honte mais aussi de colère aurait dû me donner une leçon importante. Je ne suis pas responsable du comportement des autres, seulement du mien et il est impératif de dire haut et fort STOP !.

Malheureusement, je suis lente à la détente, pour ne jamais blesser personne. Il y a quelques mois au mariage d'amies, Emma et moi sommes descendues d'un taxi et en un instant, une horde d'amis nous ont sautées dessus pour nous « organiser et nous porter assistance ». Plus concrètement, ceci s'est traduit par Emma poussée de coté et pour ma part, mon sac et mon appareil photo ont été presque arrachés de mes mains et tout à coup,me voilà poussée par je ne sais pas qui. Je demande, paniquée à ce qu'on me laisse tranquille et que je souhaite m’arrêter aux toilettes avant l'ascension de la colline qui mène à la cérémonie. Bien sur, ceci est complètement ignoré et l'ascension continue. Je cherche Emma du regard car je sais que j'ai besoin de m'autosonder et que mes sondes sont dans mon sac, qui lui est déjà là haut. Je n'ai aucune envie d'expliquer à ceux qui me poussent toujours contre ma volonté que j'ai besoin de mes sondes sans quoi, je ne peux pas vider ma vessie. Une fois de plus, ma requête tombe dans les oreilles des deux sourdes qui sont en train de faire leur BA de la journée en espérant accumuler des points pour leur voyage au paradis !!! Et là, Emma se met en colère ! Personne ne comprend pourquoi, puisque clairement on m'assiste, moi, l'handicapée, à gravir le jardin pour assister à la cérémonie.
Si Emma est considérée comme étant mon aidante, ce n'est pas que pour son plaisir. Son rôle m'est crucial car nous formons une équipe. Elle reconnaît mes besoins sans que j'ai à les exprimer haut et fort. Elle anticipe mon ressenti dans des situations de ce genre. La mettre de coté pour se sentir plein de bonté d'avoir aidé l'handicapée de service est un manque de respect terriblement blessant car il sous entend qu'Emma n'assure pas dans son rôle d'aidante mais pire encore, cela sous-entend que nous ne sommes même plus vues et considérées comme le couple de femmes mariées et soudées que nous sommes. Une grande leçon, quand les personnes autour de nous ne comprennent pas, il faut apprendre à crier haut et fort « Back the fuck off!” (dans la tradiction: «j'aimerais que vous me laissiez tranquille »)

4: La langue française manque de vocabulaire acceptable et adapté pour décrire les personnes ayant un handicap. Cela me choque toujours terriblement et ma femme et moi ne nous habituerons jamais à entendre les gens parler « d'handicapés physiques ou mentaux ou d'invalides».

Est il encore possible qu'on puisse penser qu'avoir un handicap rend une personne sans sa place et sa validité dans la société ? La langue anglaise est beaucoup plus positive, acceptante et respectueuse, ce qui se traduit de façon pratique par une culture bien plus ancrée sur l'accessibilité pour toute personne en situation de handicap, sans tout autant tomber dans les extrêmes du «politiquement correct». je suis de ceux et celles qui pensent fermement qu'il faut avant tout changer le vocabulaire pour changer la culture et la manière de se comporter.
3: La majorité des gens ne considèrent que l'aspect physique du handicap et donc ne comprennent pas ma fatigabilité comme un élément de ma maladie. Ils ne cherchent pas à aller plus loin que les symptômes visibles et donc portent souvent des jugements fermés sur le fait que je devrais pouvoir travailler et participer du mieux possible à la société et que ce n'est pas parce que je ne peux pas marcher sans cannes ou déambulateur ou parce que je dois me déplacer en chaise roulante que je ne peux pas vivre au même rythme que tout le monde. Malheureusement, ce sont souvent les symptômes invisibles qui apportent les difficultés les plus pénibles à gérer. La SEP touche le système nerveux central, ce qui peut se traduire par des problèmes de vision, m’empêchant de lire, d'écrire, de regarder la télévision et qui peut être un jour entraînera une perte de vue complète en une nuit. Ma mémoire est affectée par la fatigabilité, ainsi que ma capacité d'écoute et de concentration. Quand les nerfs conducteurs de communication entre le cerveau , les muscles et les organes sont attaqués de manière axonale et définitive, les messages sont mal retransmis ou complètement inexistants, ce qui chez moi et pour beaucoup se traduit par une fonction urinaire et digestive irrégulière ou inexistante en pilotage automatique. Il faut alors passer en contrôle manuel en consacrant chaque jour quelques heures à s'auto-sonder pour vider aussi bien la vessie et que le système digestif. Ceci devient épuisant et désespérant car la nature progressive de la maladie entraîne le besoin constant de changer les démarches à suivre pour finir par des solutions définitives et chirurgicales lourdes et difficiles à digérer quand on a que 40 ans. La poche, non merci !
2: Souffrir d'un handicap ne guérit pas forcément des préjudices que je peux avoir par rapport à la situation du handicap. Depuis plus d'un an, je cherche la solution idéale pour retrouver de l'autonomie dans mes déplacements. J'ai évidemment commencé par rechercher les meilleurs modèles de scooters pour personnes à mobilité réduite pour un terrain irrégulier et accidenté que nous avons dans le village et ses alentours. Commerciales, kiné, neurologues, médecin traitant, ergothérapeutes...tous me conseillaient de cibler mes recherches sur les chaises roulantes électriques pour que ce moyen de déplacement autonome puisse s'adapter au maximum à la progression inévitable de ma maladie et donc de mon handicap. Certes, j'ai un caractère borné et il est difficile de me faire changer d'avis quand j'ai une idée en tête. Ma femme, me connaissant parfaitement, n'abordait pas ce sujet, me laissant donc le temps pour arriver à la bonne décision toute seule. C'est un commerciale formidable qui m'a forcée à essayer une chaise roulante électrique après pourtant lui avoir expliqué que dans ma tête, je ne me voyait pas déjà en chaise roulante. Bien-sûr, étant bornée, 5 minutes avant qu'il arrive pour me faire essayer une chaise roulante électrique tous chemins, je continue à affirmer que jamais je ne monterais sur ce genre d'engins, trop emblématique pour moi d'un grand handicap ! Après 5 minutes installée dessus, grimpant les pentes dures du village et allant à toute vitesse (ne nous excitons pas, vitesse maximum de 10 km/h), je suis obligée d'admettre que c'est tout à fait ce qu'il me faut, malgré le prix exorbitant. En effet, il faut être riche pour être bien équipé quand on a une mobilité réduite. Le prix d'une chaise roulante électrique approche de près le prix d'un 4x4 dernier cris! Élément indiscutable d'une forme de discrimination de plus. Cependant, c'est mon préjudice personnel qui m’interpelle quand j'ose demander à Emma si assise sur cette chaise roulante, je ne fais pas «trop handicapée». Voilà, je dois me rendre à l'évidence, j'ai, moi aussi des préjudices envers les personnes handicapées.
1: Les paroles ou suggestions les plus blessantes sont souvent exprimées par les personnes qui vous sont les plus proches et chères. C'est à ma maman que je donne la palme d'or pour la chose la plus offensante que j'ai pu entendre. Je lui pardonne car je sais qu'elle n'était pas motivée par une méchante intention, mais par un manque certain d'intelligence émotionnelle et de perspicacité.

Par deux fois, j'ai eu droit à un envoi spécial d'articles sur le suicide thérapeutique.

Quelle mentalité et preuve d’égoïsme faut il avoir et montré en exprimant une telle peur, sa propre peur de l'avenir pour sa fille en la forçant à penser à la pire progression de la maladie, comme si nous n'y pensions pas régulièrement ma femme et moi avec les pires angoisses.

Nous faisons tout pour ne pas envisager le futur au long terme, pour rester positives, heureuses malgré la précarité dans laquelle nous vivons de part ma maladie, motivées pour affronter ensemble de bien dures épreuves, accepter et assimiler dans notre couple cette maladie cruelle et envahissante, normaliser les nouveaux symptômes au gré de leur apparition, accepter le changement de nature de nos relations, de conjointe à aidante, de conjointe à dépendante. Mais pour une fois, j'ai refusé de courber le dos pour ne rien dire et avaler la couleuvre. 
Merci maman de m'avoir donné la meilleure des raisons pour ne plus accepter le malaise et l'incapacité des autres à me regarder vivre mon handicap et ma maladie.
 
 A vous tous d'apprendre à contrôler vos peurs et préjudices face au handicap!